Le mardi 03 octobre 2023, l’émotion était de mise dans le petit cimetière de la commune de Bezange-la-Petite en Moselle (57). Cent neuf ans ans après les combats de Réchicourt-la Petite, une tombe a été réhabilitée à la suite d’un travail de recherche entrepris par le Cercle Généalogique Maralpin.
Lors des commémorations de Dieuze en août 2022, Florent FASSI, président du CGM, a été sollicité par le Maire de Réchicourt, Hervé SEVE, pour avoir des informations sur une tombe présente dans sa commune. La dite tombe portait le nom de « GORIS Antoine – Sous-lieutenant 130e RI – Mort pour la France le 02/11/1914 » et les recherches de M SEVE restaient infructueuses pour identifier le soldat.
Les informations recueillies sur la tombe :
Il a été nécessaire de vérifier chacune des informations inscrites pour cette sépulture.
- Une identité : GORIS Antoine
La consultation du site « Mémoires des Hommes » ne nous permet pas d’identifier le défunt, en dehors de la fiche correspondant à sa sépulture. Sur les 16 fiches « Mort pour la France » avec un patronyme identique ou proche, aucune ne porte le prénom d’ « Antoine ». De plus, on ne retrouve pas d’officier correspondant, seuls trois d’entre eux sont morts en 1914, aucun en Moselle ou provenant du 130e RI.
La recherche sur le site « Grand Mémorial » (indexation des fiches matricules de 91 services d’archives départementales) n’a pas eu plus de succès.
- Un régiment : 130e RI
En novembre 1914, le 130e RI combat dans la Somme, à Andechy plus précisément comme le relate le Journal des Marches et Opérations (JMO) de cette unité en novembre 1914, soit à plus de 250 km de Bezange-la-Petite, le lieu d’inhumation ( memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr (26 N 687/1 – vue 22 ).
L’historique du 130e Régiment d’Infanterie (Imprimerie Berger-Levrault – Paris) ne fait aucune mention du sous-lieutenant Goris et on ne le retrouve pas non plus dans la liste nominative des militaires morts au Champ d’Honneur.
Il en est de même pour le 130e RIT ( Régiment d’Infanterie Territorial), qui se trouve au camp de Châlons (Marne) du 16 octobre au 12 décembre 1914.
Le bilan de ces premières recherches nous laisse supposer la présence d’une ou plusieurs erreurs sur l’identité et sur les informations inscrites sur la tombe. Car nous n’avons pas retrouvé dans les archives en ligne la trace de GORIS Antoine, ni dans les archives militaires, ni dans les archives civiles. Cette tombe est le seul élément qui l’identifie.
Retrouver une identité
Les témoignages recueillis après-guerre nous ont permis de savoir que l’inhumation a été réalisée par les troupes allemandes. Le corps du soldat « Alfred LECLERC », enterré au côté de celle de « GORIS Antoine » , a été recueilli dans la commune voisine de Réchicourt. Qu’en est-il de celui du sous-lieutenant ?
- Un patronyme incomplet et/ou incorrect
Il est courant d’avoir des erreurs de transcription, même en période de paix : écriture phonétique, déformation de la calligraphie…
Une recherche dans les données issues de l’indexation collaborative (non exhaustive) du site « Mémoire des Hommes » nous aide à retrouver l’identité du défunt. En sélectionnant les départements de la Moselle et de la Meurthe-et-Moselle, nous retrouvons près 39 686 fiches « Mort pour la France » pour 1914 et 906 pour le mois de novembre.
Si on utilise comme critères de recherche, les autres indications présentes sur la tombe, soit le grade et le prénom, on arrive à isoler un seul résultat.
- Le régiment du sous-lieutenant
Comme nous l’avons constaté à la lecture des JMO et des historiques régimentaires, le 130e RI et le 130e RIT n’étaient pas en cette période dans ce secteur.
Dans l’hypothèse que la racine « 30 » est juste, et que la probabilité de l’appartenance à un régiment d’infanterie est la plus importante, on compte six autres régiments :
- 30e RI d ‘Annecy : Picardie de septembre à décembre 1914
- 30e RIT de Chartres : Camp retranché de Paris
- 230e RI d ‘Annecy : Lorraine – Hénaménil, Réchicourt-la-Petite, Lunéville en novembre 1914
- 230e RIT de Chartres : créé en 1915
- 330e RI de Mayenne : Oise—Bois de l’hôpital en octobre 1914
- 330e RIT de Mont-de-Marsan : créé en 1915
Au vu de leurs positions sur le front fin 1914, il était pertinent de rechercher dans la base des « Morts pour la France » uniquement les hommes provenant du 230e RI (seule unité dans ce secteur).
Grâce à la recherche croisée effectuée sur le patronyme et sur le régiment, on retrouve la même information qui présente de fortes similitudes. Nous avons ainsi isolé un seul résultat, le même combattant ressort :
Le sous-lieutenant JORIS Antoine-Marie
Né le 05 février 1871 à Faverges en Haute-Savoie, le sous-lieutenant JORIS est un militaire de carrière. Dispensé du service militaire pour poursuivre des études ecclésiastiques, il décide d’arrêter ses études. Il est incorporé en 1894 au 30e RI d’Annecy. Il obtient les grades suivants : caporal (septembre 1894), sergent (juin 1895), sergent-fourrier (mars 1897), sergent-major en octobre 1899…
Il se réengage successivement en 1896, 1899, 1901 et enfin en 1906.
- Disparu au combat de Réchicourt le 22 novembre 1914
Sur sa fiche « Mort pour la France », la mention « disparu » a été ajoutée en plus de la mention « Tué à l’ennemi », et sa fiche matricule Annecy – n° 509 (classe 1891) en fait aussi mention.
En septembre 1920, le Tribunal d’Annecy rend un jugement déclaratif de son décès, transcrit en Mairie le 05 octobre 1920, et confirmant l’absence de sépulture connue.
Pour sa bravoure lors de ces combats, il reçoit à titre posthume une ultime citation ainsi que la Croix de guerre avec palme (source JO du 15 mai 1922).
- Combat de Réchicourt à travers les JMO
La lecture des différents JMO disponibles en ligne nous permet de reconstituer les évènements. Le JMO de la 74e Division nous permet de connaître les régiments présents comme le 230e RI du sous-lieutenant Joris ( memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr (26 722 /9 ) et le 333e RI, mais aussi le 7e BCP et 2e Cyclistes, l’artillerie, ainsi que les informations recueillies sur les Allemands.
Le JMO de la 148e Brigade nous donne plus de détails et mentionne surtout la mort du sous-lieutenant Joris, à la fin du compte-rendu du 22 novembre 1914 ( memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr – 26 535 /6 )
- Témoignage de Joseph DUCHENE
Ami et cousin éloigné du sous-lieutenant JORIS, Joseph DUCHENE était dans le même régiment que lui et ses descendants ont ouvert un blog ( http://1914-joseph-duchene.eklablog.com/ ) rendant public ses carnets de guerre.
Il intègre le 230e RI le 14 octobre 1914 et par son témoignage nous découvrons les circonstances de sa disparition et les recherches entreprises pour le retrouver.
Famille et descendance de JORIS Antoine-Marie
Après identification, une recherche dans les bases de données collaboratives a permis de commencer à reconstituer la famille d’Antoine Marie.
La famille de son cousin Joseph DUCHENE a en effet constitué une fiche à sa mémoire ainsi qu’un arbre généalogique (incomplet), que des recherches dans l’Etat-Civil en ligne, ont permis de confirmer et compléter.
En conclusion, compte tenu du fait qu’il n’existe aucun document officiel au nom de GORIS Antoine, ni aucune présence attestée du 130 RI dans ce secteur, et qu’il n’existe, par ailleurs, aucune tombe au nom de JORIS Antoine Marie (porté disparu en vertu de son acte de décès transcrit le 05 octobre 1920), on peut raisonnablement en déduire que GORIS Antoine et JORIS Antoine Marie ne sont qu’ une seule et même personne.
Le résultat de nos recherches a été remis à la commune en septembre 2022 et fut transmis pour validation à l’ONAC (Office National des Combattants et des victimes de guerre).